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Ce colloque propose d’étudier des industries chimiques, dont l’activité s’est fondée sur l’usage de substances dérivées de combustibles fossiles, en portant l’attention aux effets sanitaires et écologiques de ces activités sur les territoires et les sociétés locales. Au XXe siècle, les activités pétrochimiques ont façonné les territoires où elles s’installent. Non seulement leur édification impose la construction de vastes réseaux d’infrastructures connexes, mais elle rend possible la production de nouvelles substances dont la fabrication exige des dérivés du charbon ou du pétrole. Dès leur mise en fonctionnement, les nuisances générées par ces industries sont perceptibles par les sociétés locales. Ces activités sont rapidement accusées de provoquer des troubles de santé, par les travailleurs comme par les riverains. Si la conflictualité reste souvent latente, elle s’est exprimée parfois avec violence, en particulier lorsque sont survenus des « débordements industriels » spectaculaires qui ont brisé la discrétion des pollutions chroniques. Jusqu’à nos jours, cette conflictualité peut aussi s’exprimer avec véhémence lorsque la désindustrialisation rompt l’accord tacite qui pouvait exister entre les travailleurs et l’entreprise dont ils tiraient leur revenu. La fin de l’activité industrielle peut révéler les effets écologiques et sanitaires, nourrir le ressentiment des riverains affectés et créer des mobilisations qui se nourrissent parfois d’une réactivation de la mémoire des désastres.
Dès lors, les enquêtes sur les conséquences sanitaires de l’industrie contribuent à la recomposition des rapports sociaux sur les territoires industriels. Ces enquêtes de santé répondent à une demande sociale forte, provenant des travailleurs et des riverains exposés aux pollutions chroniques. La production de ces savoirs peut se donner pour objectif de remédier aux lacunes d’une science non-produite ou d’alerter sur la potentialité pathogène d’une usine lorsque des riverains mènent une enquête d’épidémiologie populaire, voire instaurer le doute sur les effets de certaines substances afin d’éviter l’adoption de régulations contraignantes pour l’activité des entreprises. Ce processus s’inscrit dans un contexte conflictuel : les savoirs sont ainsi discutés, contestés, controversés.
Les autorités publiques jouent un rôle ambigu, tantôt régulatrices, tantôt soutiens des industriels. Ce rôle est fonction de l’intensité des interpellations des différents groupes d’intérêts, mais aussi de l’implication des agents dans ces dossiers ou d’opportunités politiques (lorsque des controverses médicales s’imposent dans le débat public, lorsque des conflits surviennent entre le pouvoir municipal et le pouvoir national, etc). Ainsi, l’administration peut faciliter la production de savoir pour rendre visible et lutter contre certaines pollutions. Les échelles d’analyse de l’action publique peuvent s’articuler comme elles peuvent s’opposer entre elles : les conclusions des expertises sanitaires provenant d’institutions publiques nationales peuvent ainsi contredire des enquêtes conduites avec le soutien des autorités municipales. Malgré des phases de controverses véhémentes, l’attention aux enjeux sanitaires est marquée par des discontinuités fortes sur ces territoires : les conclusions des enquêtes sont parfois oubliées pendant plusieurs décennies, menant à la répétition d’enquêtes identiques. Ces processus d’oubli actif participent à la fois à la production d’une ignorance sur les effets sanitaires de l’industrie et au maintien des accommodements locaux qui assurent la pérennité de l’activité industrielle, en dépit de ses nuisances.
Les études monographiques sur les « couloirs de la chimie », à travers le monde, tendent à se multiplier en interrogeant la désignation indigène de ces territoires, ainsi de la « Cancer Alley » ou des « Toxic Corridors » américains, ou du « Triangolo della morte » sur le littoral sicilien. Ces mots décrivent tous des districts dont la fonction industrielle s’est construite ou renforcée au XXe siècle, dans la foulée d’investissements massifs dans des infrastructures permettant l’expansion de la chimie de synthèse fondée sur des dérivés de combustibles fossiles. Non seulement ces aménagements induisent un impact environnemental et sanitaire, mais ils créent aussi un phénomène de dépendance dont ces districts peinent à se déprendre.
Toutefois, les comparaisons entre les territoires pétrochimiques européens et nord-américains restent rares. En rassemblant des études menées dans différents territoires pétrochimiques, ce colloque entend poser les jalons d’une histoire comparée des couloirs de la chimie. En se démarquant des histoires qui prennent pour acquise l’équation entre la consommation croissante d’énergie fossile et la prospérité des territoires, ce colloque invite à mettre l’impact sanitaire de l’industrie au cœur des récits portant sur la pétrochimie. Pour cette raison, ce colloque accordera un intérêt particulier aux communications proposant de revisiter l’histoire des enquêtes de santé qui portèrent sur les territoires industriels, ainsi qu’aux communications permettant un dialogue étroit entre chercheurs en sciences sociales et chercheurs en santé publique.